Domaine de Trévallon 2014 Rouge
Laissez-moi vous emmener aujourd’hui dans les Alpilles, ce massif montagneux situé entre la Durance et le Rhône, à quelques kilomètres au sud d’Avignon. Vous ne visualisez pas bien ? Alors laissez le Mistral vous prendre par la main, vous êtes dès lors aspiré par la Méditerranée, brulé par le soleil provençal, et soudainement stoppé par un abrupt massif de calcaire : vous y êtes. Les Alpilles.
Mais … On y fait du vin ?
Oui, et ce depuis longtemps. Les romains cultivaient déjà la vigne dans la région d’Aix-en-Provence. Les terroirs y sont propices, mais il faut avouer qu’après le phylloxera et la crise qui suivit au début du XXème siècle, la viticulture a subi une vraie perte de vitesse. Il fallait produire beaucoup pour survivre, et la qualité en fut donc inévitablement impactée.
La Provence avec des vins qualitatifs allait se résumer pour un moment à la seule appellation Bandol …
Trévallon, quand l’histoire mêle amour des lieux et arts
L’histoire du Domaine de Trévallon est assez singulière. Dans les années 1950, Jacqueline et René Dürrbach achètent le Mas Chabert ainsi que des terres dans les Alpilles. Ce couple d’artistes, proche de Picasso et Fernand Léger voit dans ce déménagement une façon de fuir l’agitation de la côte d’Azur tout en profitant des merveilleux paysages qu’offrent les Alpilles. C’est leur fils, Eloi, en 1973 qui imagine alors créer un domaine viticole au milieu de la garrigue. Mais la roche calcaire ne se laisse pas faire. Pour planter la vigne, il faut sortir les bâtons de dynamite (un peu comme Henri Jayer dans son Cros Parentoux en Bourgogne), la pioche, chaque cep est une lutte mais l’idée est géniale : planter du Cabernet Sauvignon et de la Syrah sur ces sols calcaires.
Ah oui, j’ai oublié de préciser. Nous sommes en Rhône méridional et ces deux cépages sont donc assez inhabituels (la Syrah étant plutôt en Rhône septentrional et le Cabernet Sauvignon bordelais). Mais après des recherches d’Eloi Dürrbach, le Cabernet Sauvignon était déjà présent dans la région avant le phylloxéra. Il n’était peut-être pas œnologue de formation, mais avait déjà une intuition et la compréhension des terroirs.
En ce sens, dans cette décennie où la chimie et les produits phytosanitaires proliféraient, Eloi Dürrbach a toujours refusé la présence d’intrants chimiques à la vigne. Pas besoin de certification, l’honnêteté de l’homme est profonde.
Domaine de Trévallon : un mythe se forme
Après une première vinification en 1976 en plein air, le domaine n’ayant pas encore de chai, les millésimes se suivent et sont de plus en plus aboutis. Trévallon se structure peu à peu. Dans les années 1980, un restaurant étoilé met les vins à la carte et le discuté – aujourd’hui – Robert Parker attribue de très bonnes notes aux vins du Domaine. Il n’en faut pas plus pour que les cuvées soient reconnues et demandées partout dans le monde. Mais rien ne change dans la philosophie du domaine malgré ce succès, les mots d’ordre étant terroir, humilité, qualité.
Dans son cheminement, Eloi Dürrbach est déterminé et … effronté : les appellations refusent l’agrément à Trévallon car le pourcentage de Cabernet Sauvignon est trop élevé. Peu importe, le vin sortira en IGP (indication géographique protégée).
Hop ! Je vous ai vu bondir de votre chaise. « Comment, un IGP peut-il être un grand vin ?! » Eh bien oui … Parfois la vision et la qualité d’un homme peuvent outrepasser les règles d’une appellation afin d’en magnifier le terroir.
Désormais, le Domaine de Trévallon est devenu un mythe, un vin extrêmement recherché et parfois spéculatif malheureusement sur le marché de la revente. Eloi Dürrbach quant à lui, nous a quitté en novembre 2021. Personne ne s’y attendait, sa disparition a entrainé une vague d’émotion et d’hommages pour celui qui a su créer de toutes pièces une merveille de poésie provençale. Cette dernière ne livre ses secrets qu’après de nombreuses années en cave. La patience est d’or.
Le vin de la Semaine : Domaine de Trévallon 2014 Rouge
Millésime frais, 2014 a vu quelques pluies arriver juste avant les vendanges ce qui nécessita un tri durant la récolte afin de ne garder que les meilleures baies de raisin. Élevage de 24 mois en foudres et barriques.
Il est évident que Trévallon nécessite toujours du temps en cave avant d’avoir un vin accessible et révélant toute sa palette aromatique. Mais avec ce 2014 et sa spécificité évoquée précédemment, nous sommes en présence d’un vin déjà prêt. Cette fraîcheur lui confère une très grande finesse. Au nez, c’est une explosion de notes olfactives. La garrigue évidemment, mais aussi le poivre, la prune, la tapenade, les fruits rouges, de légères notes de cannelle. Pour ce qui est de la bouche, j’aime tant cette aromatique graphite, calcaire. La bouche est racée, fraîche, longue. Aucune lourdeur, les tanins sont fondus et poudrés, à l’image d’une danseuse étoile. Il est si rare de trouver à la fois la gourmandise espiègle des fruits rouges omniprésents et cette aristocratie de tanin et de fraîcheur.
C’est grand, très grand même.
Soyez joueur, présentez cette bouteille à vos invités à l’aveugle, accompagnée de caillettes provençales et d’une ratatouille. Ne dites rien, certains partiront sur un Bordeaux (à cause du Cabernet Sauvignon), mais pas grand monde ne trouvera les Alpilles. Je vous l’assure, ils vous seront reconnaissants de cette découverte.
Pour l’anecdote, à chaque millésime l’étiquette du Domaine de Trévallon change. En effet, Eloi Dürrbach avait demandé à son père artiste de peindre 50 affiches. Depuis 1996, en fonction des millésimes, le domaine sélectionne l’affiche illustrant l’étiquette. Chaque bouteille devient alors une œuvre d’art.
PRIX : environ 70€ (aucune vente au domaine)