La fine fleur du temps
Montres et whiskies, une association saugrenue ? Que nenni ! Le temps est ici tout à son affaire. Comment l’indiquer avec le plus de précision possible, quand il s’agit d’une montre et comment savoir quand il a fait son œuvre – au bout des trois ans minimum requis –, lorsqu’il s’agit d’un whisky... ? En puisant dans les 100 références nommées dans 10 catégories de prix pour représenter La Montre de l’Année 2024, l’exercice était bigrement irrésistible. À vous de juger de sa pertinence, et, au-delà de ça, élire le whisky de votre choix ?
LOST IN TRANSLATION – Moins de 500 euros
Une petite montre accessible certes mais dotée d’une mécanique de haut vol, un mouvement manufacture automatique d’une réserve de marche de 60 heures, comme la maison horlogère japonaise plus que séculaire sait si bien le faire. On aime son cadran guilloché jaune paille, so chic ! Le Japon, l’accessibilité, la couleur… tout est ici réuni pour l’associer à Toki, le blend japonais de Suntory, idéal en highball. Highball (à base de soda) – le célèbre bar tokyoïte Tory le popularisera dans les années 50 – et mizuwari (à base d’eau) sont les deux boissons préférées des Japonais. Le dosage (une dose d’alcool pour 3 doses d’eau pétillante dans un long verre rempli de glaçons) varie en fonction du goût de chacun. L’idée ? Enlever du gras et faire parler le distillat. Le whisky Toki, issu de whiskies de grain et de malt en provenance de trois distilleries (Yamazaki, Hakushu et Chita), avec ses notes de pamplemousse, de pomme verte et de miel, rond, doux et rafraîchissant, se prête parfaitement à l’exercice. D’une simplicité déconcertante dans sa préparation, il s’adapte à toutes les situations. Le temps en japonais ? Toki ! Mais oui !
TOUT SCHUSS – De 501 à 1 000 euros
DOMAINE DES HAUTES GLACES – Épistémè RØØF24 Ex-vin jaune, single rye (Cornillon-en-Trièves, Vercors), 50,6% vol. alc., (50ml) – 95 euros
Avec cette montre des sommets, on pense immédiatement aux sports d’hiver. D’autant que de grands skieurs s’en sont fait les ambassadeurs, comme un certain Victor Muffat-Jeandet, fort de 11 podiums et 1 victoire en Coupe du monde… Pourquoi alors ne pas l’associer au Domaine des Hautes Glaces1, « un whisky de montagne » , comme le surnomme Frédéric Revol, son fondateur ? Le paysan-agronome vient d’ailleurs de raconter son aventure écologique dans un livre portant ce nom2. Le motif en triangle du cadran de l’Alpiner Extreme Quartz n’est pas sans rappeler le logo du Domaine, lui aussi doté d’un triangle… et l’on peut pousser le bouchon encore plus loin en élisant leur whisky fini en fût de vin jaune, l’un des plus grands vins secs du Jura. Le RØØF24 – R pour Rye | ØØ pour multi-millésime | F pour Finish | 24 pour l’année de mise en bouteille – issu de la collection Epistémè, est un single rye (100% seigle Caroass), arrondi et lissé par ce nectar jurassien. Du corps, du poivre, du bois et du vin, ce whisky épais et gourmand, bio qui plus est, réchauffera les âmes après une longue journée sur les pistes…
1 adossé au groupe Rémy Cointreau depuis 2017
2 Whisky de montagne : la terre, la graine et le goût, éditions Terre Vivante.
AVIS DE TEMPÊTE – De 1 001 à 2 000 euros
DISTILLERIE DE CHEVANCEAUX – Pointe Blanche, single malt whisky (France), 43% vol. alc., 46,90 euros.
L’harmonie sera leur dénominateur commun ! Entre un cadran émaillé gris tempête aux index en appliques cerclées, dans un souci du détail cher à Gabriel Vachette et Jérôme Burgert, les fondateurs de Serica, et un whisky maritime, dont la maturation se prolonge d’un an, hors des chais, en fûts de whisky tourbé, dans une cabane à huîtres sur une île de l’Atlantique… l’association est née pour combler les auteurs d’un chronomètre de voyage qui s’élève au-dessus du niveau de la mer… Toute la singularité de Pointe Blanche vient de ce double vieillissement sous deux types de climats. Légèrement tourbé au nez, son attaque gourmande et sapide révèle de délicieuses notes maltées et de fruits confits. La finale aux notes de pain grillé, saline à souhait, le classe parmi les grands. Cette singularité, que Serica défend bec et ongles en reprenant les grands classiques horlogers pour les réinterpréter à leur manière, sans jamais tomber dans le travers d’un hommage à une montre déjà existante, la distillerie de Chevanceaux, elle aussi la revendique, avec un whisky classique dans son approche mais avec cette pointe de sel si surprenante qu’elle est allée chercher sur l’île d’Oléron…
3 Mean Sea Level
ENTRE UN PETIT COCHON ET UNE GRANDE GIRAFE – De 2 001 à 5 000 euros
WHISTLE PIG 12 ans Old World Rye, rye whiskey (Vermont, USA), 43% vol. alc., 130 euros.
En misant tout sur une nouvelle lecture du temps s’inspirant de la fonctionnalité et de l’esthétisme des compteurs anciens sur terre, sur mer et dans les airs, Reservoir a su se hisser parmi les grandes marques françaises qui font bouger l’horlogerie. Lorsque François Moreau et François-Marie Neycensas lancent en 2021 une montre dédiée aux détectives de la bande dessinée belge Blake et Mortimer, c’était certes un terrain sur lequel on ne les attendait pas ! Fort du succès de cette nouvelle collection, ils ont persévéré en s’attaquant à un autre personnage de fiction Popeye – ce marin batailleur, américain cette fois, qui, à force de se bourrer d’épinards, devient quasiment invincible ! Après 4 déclinaisons réussies, c’est au tour d’Olive Oyl, sa compagne casse-cou (pour rester poli), de s’y coller, aux côtés de son adorable protégé, Swee’Pea. Cette grande girafe aurait-elle fait un sort au gentil petit cochon, l’emblème de Whistle Pig, un rye whiskey originaire du Vermont ? C’est fort possible. Toujours est-il que ce whisky de seigle, vieilli 12 ans en fûts neufs de chêne américain et fini en 3 ex-fûts de vin européen – Madeire (63%), Sauternes (30%) et Porto (7%) – a reçu en 2017 le prix très convoité de « Meilleur whiskey du monde » décerné par la San Francisco World Spirits Competition. Voilà de quoi mettre notre Olive KO ! En bouche, des notes d’abricot et de miel laissent place à une explosion d’épices apportée par le seigle, avec des prunes, du caramel et une touche de menthe. Un rye complexe et équilibré pour partir à la conquête de l’Ancien Monde.
LA FEMME SOUVERAINE – De 5 001 à 10 000 euros
NC’NEAN – Aon Cognac Finish, single cask (Highlands, Écosse), 57,1% vol. alc., 129 euros.
Beauté et audace, deux mots qui riment avec féminité et résonnent ici avec justesse. La beauté de La D My Dior, dessinée par Victoire de Castellane, est incontestable, entre l’association des matières (or, acier et diamants), le motif cannage, signature de la Maison, réinventé pour l’occasion, la juste taille de son diamètre de 25 mm et son bracelet souple dans une maille milanaise retravaillée. L’audace, voilà bien ce qui caractérise Annabel Thomas, fondatrice des whiskies Nc’Nean. « Un hommage à Neachneohain, la déesse des esprits de la Nature, des animaux sauvages et de la lune, qui comme moi trace sa propre route », avait-elle précisé lors de son lancement. Le défi relevé par cette guerrière tranquille ? Un whisky zéro carbone, le premier en terres écossaises. Avec Aon, un single cask vieilli en fût de bourbon puis fini en fût de cognac de la distillerie Fontagard, elle aussi engagée dans une démarche environnementale, Annabel Thomas célèbre The Auld Alliance. Cet accord signé en 1295 pour s’allier en cas d’attaque de l’Angleterre contre un des deux pays, survit encore aujourd’hui dans l’amitié indéfectible que nous avons pour les Écossais. Et ce whisky, réservé exclusivement pour la France (280 bouteilles seulement), aux notes de noisette, de fruit et de vanille et aux saveurs de caramel crémeux, de zeste d’orange et d’amandes grillées, nous le rend bien !
EN MODE OLD SCHOOL – De 10 001 à 25 000 euros
THE GLENDRONACH – 15 ans, single malt whisky (Speyside, Écosse), 46% vol. alc., 109,90 euros.
La montre étendard de la famille Scheufele, propriétaire de la maison Chopard depuis 1963, pas de doute, c’est bien la Mille Miglia, du nom de la course éponyme née en 1927, pour laquelle la famille voue, avec les voitures de collection, une passion jurée. C’est précisément en 1988 que Chopard en devient le principal partenaire et chronométreur officiel et lance le premier modèle d’une collection aujourd’hui devenue culte. Avec Benriach et Glenglassauch, la distillerie The Glendronach appartient à cette « vieille garde » des whiskies écossais. Des whiskies étendard classés dans la catégorie « old school », que certains affectionnent tout autant que les voitures de collection et ce nouveau chronographe empreint, dans sa forme, d’un classicisme pur et authentique. Depuis presque 200 ans, la distillerie The Glendronach applique les méthodes traditionnelles, signant des single malts enracinés dans les Highlands mais vieillis dans les meilleurs fûts de xérès andalous. Rachel Barrie, 1ère master blender d’Écosse en 2003, en a repris le flambeau en 2016. « Élégant et subtilement complexe, The Glendronach 15 ans dévoile une somptueuse profondeur et une puissante richesse qui font la réputation de la distillerie », précise-t-elle. Le mix de fûts Pedro Ximénezet d’Oloroso d’Andalousie y est pour beaucoup. Une première bouche d’abricot glacé au miel et de figue mûre, suivie d’un crescendo decerise noire, d’angélique et de sucre muscovado, un whisky écossais dans toute sa superbe !
DE L’IMPORTANCE D’ÊTRE CONSTANT – De 25 001 à 50 000 euros
GLEN GRANT – 10 ans d’âge, single malt whisky (Speyside, Ecosse), 40% vol. alc., 24,90 euros.
Comment ne pas songer à la nature avec ce garde-temps au sublime cadran en pierre de malachite d’un vert profond ? « Dans la nature, l’aspect de la malachite – dont les premiers échantillons sont extraits au XVIIIe siècle –, est très variable, rarement en cristaux aux formes propres (idiomorphes), mais plus souvent en masses compactes, mamelonnées, rubanées, voire des stalactites. Une fois sciées puis polies, ces coupes présentent de spectaculaires rubanements concentriques qui ont contribué à son utilisation en ornementation », précise le Museum National d’Histoire Naturelle. James Grant Junior, dit « Le Major », lui qui entretenait, avec ses jardins victoriens semés de splendides vergers, cette même passion pour la nature, aurait sans doute été sensible à l’éclat de ce modèle. Son dix ans d’âge, « colonne vertébrale du style Glen Grant» – la signature fruitée et élégante des whiskies Glen Grant que Dennis Malcolm, en gardien du temple, préserve férocement depuis soixante ans, elle est là –, est « intensément fruité avec une saveur de noisette en bouche et un boisé sec au nez », résume-t-il. Mais encore ? une explosion de fruits du verger, sans doute l’expression la plus complexe de la gamme. Les grands whiskies se reconnaissent par la constance de leur profil aromatique, immédiatement identifiable. Les whiskies Glen Grant sont de ceux-là. Une constance qui rime avec… l’horloger ici présent !
HAUTE COUTURE – De 50 001 à 100 000 euros
CHICHIBU – Akatsuki (non tourbé) et Tasogare (tourbé), single casks (Honshu – Saitama, Japon), 63,4% et 64,2% vol. alc. Uniquement en dégustation, chez Ogata ou au Golden Promise, à partir de 50 euros le verre.
Difficile de ne pas s’extasier devant la technique traditionnelle remise au goût du jour par Michel Parmigiani dans la collection Toric. Le grainage, un savoir-faire de haut-vol, génère une surface exceptionnellement régulière et douce, qui ressemble à s’y méprendre à du veau velours. Le bracelet alligator finition nubuck orné d’une surpiqûre « punto a mano », clin d’œil supplémentaire aux meilleurs tailleurs napolitains, relève les codes de l’élégance masculine à son paroxysme. Des codes « haute couture » que l’on retrouve dans deux single casks japonais de la distillerie Chichibu, située au nord-ouest de Tokyo dans la province de Saitama, que sont Akatsuki (aube en japonais) pour la version non tourbée et Tasogare (crépuscule) pour celle tourbée. La première « fait preuve d’une fraîcheur et d’une pureté d’expression dont la clarté évoque celle de la lueur qui précède le lever du soleil ». La seconde, « nimbée d’une fumée évanescente, évoque de manière poétique la lumière déclinante du crépuscule ». Une description – on reconnaît bien là les Japonais –, qui en dit long sur la finesse et l’élégance de ces deux nectars japonais. Le somptueux coffret noir et blanc renfermant les deux bouteilles, a été dessiné par le designer nippon Shinichiro Ogata – est-il besoin de présenter le concept-store japonais du même nom, réunissant un salon de thé, un restaurant, un bar, une boutique et une galerie, situé dans le Marais et dont il est l’auteur ? Ils y sont d’ailleurs servis, avec The Golden Promise, le bar de La Maison du Whisky, uniquement au verre.
ENTRE BÊTES RACÉES – De 100 001 à 350 000 euros
LAPHROAIG – Càirdeas 2024, single malt whisky (Islay, Écosse), 52,4% vol. alc., 100 euros. En ligne uniquement, après membership, passage obligé.
L’exubérance des montres Roger Dubuis peut déplaire. Pourtant, l’audace est chaque fois au rendez-vous avec Gregory Bruttin. Avec le maître d’œuvre des collections Roger Dubuis, il faut s’attendre à tout. Ce magnifique monotourbillon squeletté réussit l’alchimie entre épure et force de caractère, avec, en guise de signature, un pont supérieur inspiré de la croix celtique, symbole de force et d’unité, cher aux deux fondateurs. C’est sans doute, de toutes les pièces horlogères de ce maître de « l’hyper horlogerie », son modèle le plus réussi. Un design racé, une performance technique poussée à son plus haut niveau, une esthétique puissante… les whiskies tourbés d’Islay sont aussi de cette race-là. Laphroaig qui se trouve sur la côte ouest de l’île, en bordure de la baie de Kiddalton, forme, avec Lagavulin et Ardbeg, un trio légendaire réputé parmi les whiskies les plus tourbés et les plus puissants d’Écosse – chacun avec son propre caractère, bien différent de ses voisins. La tourbe de l’île, véritable éponge « chargée de bruyère salée, de myrte des marées, de mousse, appelée sphaigne, vitale dans sa composition, de fougères, d’ajoncs, d’herbes des landes et d’algues… », présente sur Islay depuis l’âge glaciaire, en est la grande responsable. Sa méthode de combustion, ou touraillage, aussi. Càirdeas (amitié en gaélique) 2024, l’édition anniversaire des 30 ans de « Friends of Laphroaig » diffusée au moment du Fèis Ìle, le célèbre festival annuel de l’île est une pépite, fumée, minérale et fruitée… Le meilleur de trois mondes à célébrer entre amis ?
CONCEPTS ULTIMES – 350 000 euros et plus
MORTLACH – 20 ans d’âge, single malt whisky (Speyside, Écosse), 43,4% vol. alc., 409,50 euros.
Avec l’Ultimate Concept Tourbillon, Piaget réussit la prouesse d’encapsuler un tourbillon dans 2 mm d’épaisseur tout en tenant le choc des 25% d’énergie supplémentaire exigés par la reine des complications. Ce concept aux confins de l’extraplat, pose un nouveau jalon technique sans précédent. Tout comme le Dr Alexander Cowie lorsqu’il met au point en 1897 une formule complexe et mystérieuse pour Mortlach. Nom de code ? 2.81. Notre docteur, revenu de Hong Kong, veut créer son propre style, tout en restant proche de la tradition. Que fait-il ? « Il reprend un à un le procédé, ajoute une deuxième fermentation et invente un “orgue de distillation” fait d’alambics, tous différents, pour créer non pas un chemin de distillation, mais trois – 2.81 pour être exact, pour donner naissance à trois distillats. L’un très généreux et structuré, issu d’une double distillation, la base d’un style Speyside marqué par la céréale. Le second, plus étiré et raffiné, issu d’une triple distillation tout comme les whiskies irlandais. Le troisième enfin intense, vibrant, puissant, dû à un alambic petit et trapu, surnommé depuis “The Wee Witchie4” », répond Nicolas Julhès, son ex-ambassadeur. « Le 20 ans d’âge est une réplique du whisky préféré de Cowie, resurgi des archives, fruit d’un assemblage extrêmement précis de très nombreux fûts. Cette patine qui le caractérise et lui vaut le nom de « Blue Seal », comme une vibration d’une autre époque, est une plongée dans le goût, la modernité, le génie d’un homme qui a changé Mortlach », ajoute-t-il. Un whisky charnu à souhait, pour collectionneurs de perles rares.
4 petite sorcière
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