Cadrans exotiques
Point de convergence de tous les regards, les cadrans des montres sont devenus, au fil des ans, le terrain de jeu privilégié d’artistes et de créateurs en tous genres. Leur détournement artistique, longtemps l’apanage des maisons joaillières, fait depuis quelques années l’objet d’une surenchère entre les marques les plus impliquées dans le secteur. Petit tour d’horizon d’une offre appelée à s’étoffer.
Depuis le passage au troisième millénaire, la nouvelle génération de concepteurs aux commandes des ateliers des grandes marques a mis l’accent sur la nécessité de repousser les limites en matière de décoration des montres. Les entités joaillières connues pour être à l’origine de bien des mutations horlogères ont été les premières à sortir du classicisme « bon ton » dans lequel ronronnait le métier pour tenter des expériences originales appelées à enrichir l’offre graphique.
Licence artistique
Très clairement, un cadran de montre en laque synthétique ne peut espérer avoir les reflets profonds d’un autre conçu, lui en véritable laque du Japon par un maître de la discipline.
Certaines maisons parmi lesquelles Vacheron Constantin ou Seiko ont su capter la poésie de cette matière vivante et ont créé des pièces dont le trésor principal se trouve être justement ce minuscule cadre d’expression artistique d’à peine 4 centimètres carrés. Au jeu de la poésie de la forme et des matières, Grand Seiko sait travailler ses cadrans pour évoquer la nature des montagnes nippones qu’il s’agisse des arbres à l’automne ou de la neige en hiver. D’autres entités ont exprimé la richesse de la nature en créant des cadrans en pierres dures. Piaget s’en est fait une spécialité durant les « seventies » et a été suivie par d’autres maisons comme Corum, Cartier, Bvlgari ou Dior.
Après avoir fait le tour des matériaux paléolithiques comme l’a fait Louis Moinet (ivoire de mammouth, éléments fossiles de dinosaures), certaines maisons comme Rolex sont parties explorer d’autres univers et ont habillé leurs montres de luxe de cadrans découpés dans des tranches de météorites métalliques.
Condamné à l’hyperbole pour entretenir sa communication multicanal, le métier cherche depuis lors des matériaux originaux capables de faire le « buzz ». Evidemment, les plus écolos ont récemment tenté de proposer à leur public cible des cadrans en filets de pèche recyclés, mais vue la taille de l’objet, l’implication semble aussi dérisoire quelle est démagogique.
Les plus malins l’ont compris et inscrivent de minuscules panneaux solaires dans leurs cadrans comme Cartier (lire notre article Cartier Tank SolarBeat : pas une Must, un must!) ou Casio pour entretenir le fonctionnement des calibres à quartz tandis que d’autres font appel à des artistes pour leur réaliser de petites séries de cadrans objets d’art. Cartier, Vacheron Constantin, Hermès et dans une moindre mesure Dior ou Bvlgari, se sont fait une spécialité des cadrans parés de marqueteries de bois, de paille, de mosaïques, ou de peintures réalisées en plumes.
Tous les ans, ces marques internationales nous surprennent avec une nouvelle vision de l’art exprimé dans quelques centimètres cubes. Les unes font appel à la gravure en ronde-bosse ou au Scrimshaw, tandis que d’autres tapissent la surface des cadrans d’une fraction d’une vraie œuvre d’art, de cuir, de tissu précieux, mais encore et toujours, le plus souvent, de diamants ou de pierres de couleurs.
Ces derniers ont une totale maîtrise de la technique ancestrale de l’émail cloisonné – que Vincent Daveau nous a largement expliqué dans son article ci-dessus.
Exprimer l’ultra technique
Tout cela est fort beau d’un point de vue esthétique, mais ne résout pas le problème des marques qui, au tournant des années 2000 étaient décidées à sortir du lot d’un point de vue graphique en vue de répondre aux envies des amateurs de se projeter dans le futur avec une montre mécanique au poignet. Les cadrans s’imposant comme le support le plus à même d’exprimer l’engagement des marques à aller de l’avant, les plus déterminées les ont très tôt fabriqué dans des matériaux innovants comme la fibre de carbone.
En réalité, devant la difficulté de les produire pour un coût décent, beaucoup se sont contentés d’apposer sur le disque de laiton une impression peinte façon carbone recouverte de vernis. Mais qui aurait la mauvaise idée de tout démonter pour vérifier s’il s’agit de vraie fibre ou d’une imitation 3D ?
Le carbone ayant fait des émules, les marques en quête d’originalité sont allées défricher de nouvelles voies d’expression de la modernité. Certains se sont laissés convaincre par les nanotubes de carbone tandis que d’autres exploraient les cadrans en nid d’abeille. Si le silicium sert encore aujourd’hui à habiller un petit nombre de cadrans contemporains, la plupart des maisons dont Pequignet Manufacture lui préfèrent des matières plus nobles comme le saphir fumé ou sablé.
Pour sa part, Seiko a déjà offert à ses afficionados la douceur velouté de la porcelaine d’Arita dans une montre Presage et Omega a lancé depuis un moment déjà une production de cadrans en céramique high-tech, une technologie offrant la durabilité de l’émail et la garantie d’une plus grande robustesse pour ses montres sportives. On s’étonnera sans doute de ne pas trouver à l’heure actuelle de mentions dans les marques de cadrans réalisés à partir d’une machine 3D. En fait, il est fort probable qu’il y en ait comme il y a déjà eu des boîtiers en titane chez Panerai obtenus par frittage, mais les responsables de la communication des marques restent sourds aux interrogations et muets quant à leur existence.
Cadran à mobiles
En revanche, ces mêmes responsables sont beaucoup plus volubiles quand il s’agit de présenter des montres équipées de mécanismes dont les complications embarquées ont une action au cadran. Les pièces présentant des automates attirent par leur singularité et certaines maisons s’en sont fait presque une spécialité. On pense en particulier aux manufactures Ulysse Nardin et Blancpain, à la maison joaillière Van Cleef & Arpels, Bvlgari et à l’horloger indépendant Christophe Claret. Tous proposent régulièrement des pièces de haute horlogerie dotées de saynètes ludiques (Bvlgari et Genta Mickey), bibliques, techniques (Franck Muller et la Crazy Hours) ou polissonnes (Blancpain et Ulysse Nardin) auxquelles aucun adepte de belles choses ne saurait rester indifférent.
Parmi les réalisations cinétiques assez incroyables en matière de cadrans, les connaisseurs citent régulièrement des pièces comme la Metamorphosis de Montblanc ou la Reverso Répétition Minutes à rideau de Jaeger-LeCoultre comme des références du genre. Pour clore ce sujet volontairement le plus exhaustif possible, il nous fallait évoquer l’existence des cadrans constitués du dos de la platine du mouvement mécanique et dont les composants visibles constituent l’animation.
Et, à toute fin utile parce qu’ils occupent une part toujours plus importante dans le marché horloger, il est impératif de souligner la présence des cadrans digitaux des nouveaux garde-temps connectés. Capables de changer au gré des envies de leurs propriétaires comme le permettent ceux des montres TAG Heuer Connected, ils offrent une multitude de facettes et de fonctionnalités qui font rêver les horlogers traditionnels qui, comme un pied-de-nez, parviennent comme chez Moser & Cie à les singer graphiquement avec talent…
La ORIS SUN WUKONG ARTIST EDITION
En aparté avec le cadran très atypique de la nouvelle Sun Wukong Artist Edition de la marque Oris. Créé en collaboration avec le Shanghai Animation Film Studio Co, il est façonné en émail cloisonné, une première pour la maison horlogère suisse. Logé dans un modèle emblématique de la marque – l’Aquis Calibre 400 – il représente une scène du célèbre film d’animation chinois, The Monkey King : Uproar in Heaven où le héros Sun Wukong s’avance vers le palais du roi Dragon.
En 2021, Oris avait déjà édité une version de Sun Wukong de 2 000 pièces. C’est une suite logique avec l’arrivée du second modèle limité à 72 exemplaires, chiffre qui n’est pas choisi par hasard et correspond au nombre de formes sous lesquelles le personnage magique et mythique de la culture chinoise peut apparaître.
Réalisée et peinte à la main – ce qui rend chaque pièce unique – cette véritable œuvre d’art miniature a nécessité jusqu’à trois jours de travail pour les artisans.
Prix : 23 500 euros – www.oris.ch
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