Clos de l’Échelier 2019, Domaine des Roches Neuves
Il n’est pas difficile de choisir un vin à mettre en avant pour cette chronique, les pépites, bonnes affaires, bons vins ne sont pas si rares. Mais aujourd’hui, je me sens d’humeur légèrement nostalgique et j’avais envie de vous partager une rencontre, un coup de foudre avec une bouteille, une parcelle et son vigneron : Le Clos de l’Échelier. Il est temps de vous emmener avec moi quelque part le long des 1 006 kilomètres que parcourt la Loire, tout proche de Saumur.
Thierry Germain, la rencontre
Il était un matin de février, frais mais ensoleillé, bercé par une brume ligérienne typique. Le petit groupe de dégustateurs que nous étions, avions rendez-vous à 9h avec monsieur Thierry Germain. Bordelais d’origine, il est arrivé à Varrains – bourgade située à 5 kilomètres de Saumur – il y a plus de trois décennies pour reprendre un vignoble qui, par son travail et ses idées, deviendra l’une des références ligériennes. Constitué de 28 hectares de vignes à présent, le domaine créé en 1850 puis repris en 1991 par Thierry et sa femme est converti en agriculture biologique quelques années plus tard puis en biodynamie dans la foulée. Le vigneron croit en l’énergie, cette méthode culturale lui paraît donc une évidence (et l’amène à travailler avec des chevaux par exemple) ; il faut avouer que la qualité de ses vins lui donne raison.
Thierry Germain est ce type de personnes avec qui l’approche peut être compliquée. Vous arrivez chez lui, tôt le matin mais déjà légèrement en retard, et vous vous sentez instantanément sondé. Mais assez rapidement le voile tombe, la discussion démarre, nous écoutons. L’attention véritable que nous apportons à notre hôte lui fait baisser ses dernières barrières et nous prenons de pleine face la sensibilité de l’homme. À travers son histoire personnelle, sa vie, ses paris sur l’avenir, Thierry Germain est une personnalité inspirante, amoureux de son terroir et de ses vignes, comme si chaque cep lui raconte une histoire et que son travail est d’en faire le résumé en bouteille. Pas étonnant d’ailleurs que l’une de ses cuvées se nomme « Mémoires », vin issu d’une seule parcelle de très vieilles vignes de cabernet franc de plus de 120 ans … Les pieds dans le temps.
Il est l’heure de descendre en cave, ces galeries creusées dans le tuffeau, pour déguster sur fûts les derniers millésimes en dormance. Mais avant, Thierry nous glisse cette citation de Goethe « La vigne, c’est de la terre qui s’élève », comme une pieuse parole.
La pénombre et le silence de l’endroit prêtent aux confidences et à une dégustation où tous les sens se concentrent. Les vins se goutent merveilleusement bien, malgré une période de février pas toujours propice. Une constante dans tous les vins : l’énergie. De fûts en fûts, nous découvrons les différents terroirs du saumurois sous le prisme du cabernet franc et du chenin.
Au détour d’une barrique, le silence soudainement se fait plus monacal et le temps suspendu. Dans nos verres nous sommes saisis par la même émotion, au même moment. Après avoir légèrement repris nos esprits, l’un de nous se décide à rompre le silence : « C’est quelle parcelle ? Quelle cuvée ? ». Réponse de Germain : « Clos de l’Échelier 2020 » …
Connaissant certaines cuvées du domaine, c’est la première fois que j’entends parler de celle-ci. Cette présentation succincte mais impactante nous interpelle. La dégustation se poursuit alors dans une ambiance de très grande complicité avec cette impression de connaître Thierry Germain depuis des années, de le comprendre, de faire partie de son monde. Les rires se mêlent aux confidences, le temps passe sans que personne ne s’en aperçoive. Après avoir tout goûté, Thierry nous emmène dans un coin secret de la cave. Là, une vieille barrique fatiguée nous questionne. C’est un secret, mais ici loge une Solera* de chenin commencée en 1996. La pipette du vigneron plonge dans le fût et, comme un cadeau, nous avons la chance de pouvoir goûter ce rare nectar. Merveille, merci encore pour ce cadeau cher Thierry.
Le Clos de l’Échelier, la parcelle
Une fois remontés des caves, nos questions fusent pour notre hôte. Je veux en savoir plus sur cette parcelle du Clos de l’Échelier. Dernier achat du domaine en 2012, ce clos a une histoire particulière pour Thierry Germain. Ce dernier l’a acheté pour sa femme, après d’âpres négociations avec l’ancien propriétaire qui ne voulait pas le céder.
Le couple fut instantanément sensible à une énergie particulière ressentie dans cet endroit. Il ne nous en faut pas plus, pour qu’à notre tour, nous soyons intrigués par l’endroit. Ayant écoulé tout notre temps alloué à la visite – un autre domaine nous attendant – nous n’avons pas le temps de faire le tour des vignes avec son propriétaire. Il prend alors un bout de papier, gribouille un plan – un croquis serait plus exact – nous donnant les directions pour aller au Clos de l’Échelier. Deux jours plus tard, après avoir terminé notre périple ligérien, avant de prendre la route du retour vers Paris, mes trois comparses et moi-même décidons de faire un détour par ce Clos de l’Échelier. Au regard de l’émotion ressentie en dégustant le vin, nous voulons rencontrer l’endroit.
Après nous être perdus, retrouvés, re perdus, au détour d’une route plongeant vers la Loire, nous arrivons sur un plateau. Là, un peu plus bas, un clos surplombe le fleuve, des arbres le bordent. La voiture garée, nous visitons le lieu. Marcher dans le vignoble est toujours apaisant, la nature n’ayant pas notre rythme, nous nous confrontons à beaucoup plus grand que nous. Le sol argilo-calcaire y est ici peu profond, après 50 centimètres vous êtes directement dans la roche. La Loire s’écoule plus bas, nous la devinons, et en la regardant mes pensées s’évadent. Le clos joue le rôle d’un cocon, je m’y sens bien et cela peut paraître étrange et ésotérique, mais je retrouve l’énergie ressentie lors de la dégustation de la cuvée. Ce calcaire tapissant la bouche, la longueur de la finale, la dimension du vin devient philosophique. Vous vous dites sûrement que je suis subjectif ? Sans aucun doute, mais peut-on véritablement être objectif en dégustation, nous sommes toujours conditionnés par le moment et les personnes avec qui nous partageons le vin.
Quoiqu’il en soit, en ce jour de février, dans ce clos au milieu des vignes, je me laisse porter par l’énergie du lieu, ce fleuve me rappelant des émotions propres enfouies et qui me reviennent alors. Le vin, c’est cela aussi, une émotion par le silence.
Clos de l’Échelier 2019 – 100% cabernet franc
Si parmi vous, lecteurs adorés, il y a des réticents au cabernet franc car vous détestez cette aromatique de poivron, cette acidité tranchante due à une mauvaise maturité, rassurez-vous, avec ce vin vous allez redécouvrir ce cépage. S’il fallait résumer les vins de Thierry Germain en un mot, après énergie j’emploierais celui de maturité. Tout est juste et mûr.
Le vigneron lui-même lors de la visite nous disais que le cabernet franc devait être respecté dans son végétal afin d’avoir une maturité optimale.
Vous retrouverez dans ce Clos de l’Échelier 2019 au nez, des notes de fruits rouges acidulés, de griottes, avec cette pivoine rafraîchissante. La bouche est très gourmande mais montre une grande structure. Par ces sols de tuffeau, le palet est tapissé par cette matière envoûtante. La finale est longue et pleine d’énergie.
Le vin se goûte déjà très bien maintenant, mais je ne pourrais que vous conseiller de le garder en cave 3-4 ans afin d’en saisir la pleine dimension.
Si vous ne connaissez pas l’appellation Saumur-Champigny ou que vous avez des a priori (tout de même, Clos Rougeard devrait être la caution « grand vin » !), alors redécouvrez-la par cette cuvée, je m’en porte garant. Quant aux autres, je n’ai pas à vous convaincre, vous savez la richesse de ce cépage et de ces terroirs. Je vous souhaite seulement de ressentir cette énergie et cette gourmandise offertes par ce vin.
N’oubliez pas, « la vigne, c’est de la terre qui s’élève ».
Clos de l’Échelier 2019, Domaine des Roches Neuves
Prix : 34€
Le domaine – www.rochesneuves.com
Vous pouvez retrouver Valentin Cotton sur instagram @Winepoetry_
*Solera : appelée aussi « réserve perpétuelle », la solera est un concept espagnol mais très utilisé aussi en Champagne. Il s’agit de garder dans des contenants un vin auquel on va ajouter en fonction des soutirages ou de la part de l’ange des vins de millésimes postérieurs. Certaines Solera sont très anciennes et permettent une aromatique très particulière sans effet de typicité du millésime.
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