Cuba si, Cuba cigares
Les fumeurs de havanes sont inquiets. Depuis de longs mois, leur péché mignon devient introuvable. Ou bien s’affiche à des prix qui font tousser. Mais qu’en est-il sur place, à Cuba ?
Le 27 et le 28 septembre 2022, panique à Viñales comme à San Juan y Martinez. L’ouragan Ian déboule sur la principale région productrice de tabac avec des rafales à plus de 200 km/h. Cuba se réveille KO. Réseau électrique en miettes, 40 000 sans-abris et 10 000 des 12 000 séchoirs à feuilles pour cigares que compte l’île détruits, récolte comprise. Une catastrophe pour ceux qui roulent les meilleurs puros de la planète.
Le temps de pleurer les pertes et de remettre en ordre ce qui peut l’être (seuls 5 000 séchoirs ont été réinstallés), la pénurie s’installe.
Révision des prix
En Europe, les rayons des civettes restent vides. On accuse pêle-mêle les fumeurs chinois, les trafiquants américains ravis de jouer avec le fruit défendu (l’embargo que les USA appliquent à Cuba interdit tout commerce avec l’île, donc aucun havane ne peut y être officiellement vendu), les narcos réfugiés dans le Golfe jamais en reste pour célébrer une livraison réussie… Du coup, les importateurs qui se disputent les rares boîtes livrées procèdent à une hallucinante révision des prix de vente. La loi de l’offre et la demande, s’excusent-ils… Les modules de base flirtent maintenant avec la barre de 10 euros, les belles bagues passent à 15 ou 20 euros l’unité, et il faut débourser plus de 50 euros pour allumer une vitole chic. Chère, très chère bouffée…
Dans les rues de La Havane où le salaire moyen est inférieur à la centaine d’euros, on hallucine. Alors, les Cubains font valoir leur génie de la débrouillardise. Ici, le cigare fait partie de l’ordinaire. Pas un individu, pas une classe sociale, pas un âge qui échappe au plaisir de tirer sur son puro. La photo de Fidel et du Che, havane au bec, alimente certes la légende, mais montre surtout la banalité d’une scène que les 11 millions d’habitants de l’île vivent au quotidien. Fumer est ici une affaire d’élémentaire convivialité, un plaisir qui se partage, une pause qu’on savoure ensemble. Si cet ordinaire devient un luxe au-delà des frontières, alors il doit bien y avoir quelques euros à grapiller. Bien vu. L’alternative se met en place.
La boutique du Nacional
Au cours de son séjour, le visiteur découvrira le rituel du cigare. Il voudra forcément se procurer l’objet du bonheur, jamais autant apprécié qu’accompagné d’une gorgée de ron, le rhum, l’autre gloire nationale.
Première suggestion : pousser la porte des magasins d’Etat chargés de commercialiser les grandes bagues, Partagas, Hupmann, Cohiba, Romeo y Julieta, etc. Air conditionné, armoires richement garnies, boîtes alignées au cordeau et sourire avenant. C’est magnifique. Oui, mais. Les étiquettes plombent vite le jeu : ce sont pratiquement les mêmes qu’à Paris, Barcelone, Londres ou Berlin. Pas de bonnes affaires en vue, sauf à considérer que la vente à l’unité pratiquée partout, permet pour un petit billet de conclure en beauté une soirée mojito, langouste et salsa. Elle deviendra inoubliable.
Sur ce registre, recommandons quand même de pousser la porte de la très officielle boutique installée au rez-de-chaussée du mythique hôtel Nacional à La Havane. Une merveille. Plaisir du regard devant l’une des plus belles caves du pays où certains modules frôlent désormais les 100 euros l’unité (Cohiba Esplendidos). « Vous en écoulez beaucoup ? ». La vendeuse avoue « plusieurs, chaque jour ».
Alternative, se rendre directement dans un atelier de fabrication, Partagas à la Havane, par exemple. Pas de miracle sur les tarifs, ce sont les mêmes mais c’est plaisir de voir tous les modules de la marque soigneusement présentés, avec en prime, un cigare roulé en direct à la main.
Rumeur tenace sur les BHK
Alors, vite, une autre solution. Oublions la rue, « cigars, my friend, Cohiba, amigo ? ». Trop aléatoire. Prix cadeau, mais ce sont évidemment des faux pour gogos, emboités comme les vrais avec bagues et tampons. L’illusion cessera dès l’allumage.
Qui cherche trouve. Consulter alors les Cubains les plus au fait du marché et bien entendu, de confiance : le guide, le voisin, le chauffeur, une serveuse de l’hôtel. Ce circuit non-conventionnel est alimenté par les amis des amis des amis et par des boîtes qui, comme on dit, sont tombées du camion. Il s’agit en fait d’une production détournée par les travailleurs des ateliers qui améliorent ainsi leur ordinaire. Aucune marque n’y échappe. Avantage, ces cigares sont authentiques, quoique dépourvus de leurs cachets officiels.
Le résultat évolue entre le fagot emballé dans une feuille de papier journal et la boite étiquetée comme en boutique. Tarif à discrétion. Une centaine d’euros généralement pour les meilleurs, genre Monte Cristo ou D4, plus rarement Cohiba. Quoique… Une rumeur tenace affirme qu’il est possible de dénicher des Behike 56, la Rolls du genre, 160 euros pièce dans les rares civettes européennes qui en ont. Mais il ne s’agit que d’une rumeur…
Une affaire d’homme
Enfin, et c’est une excellente nouvelle, les étrangers de passage peuvent entrer dans les magasins d’Etat chargés d’écouler les cigares destinés à la population. Rien à voir avec les ténors de la cape dont l’exportation alimente en dollars les caisses du pays. Ceux-là sont composés de feuilles bien moins nobles, voire de chutes ou de miettes, puis roulés à la machine. Surprise, leur qualité est loin de faire sourire. Dans les rayons, ils trônent aux côtés des produits de base, huile, riz, sucre, œufs, savon, vendus sur présentation d’un ticket de rationnement. Les cigares font aussi partie de la dotation, 25 unités par personne et par mois. D’accord, c’est du rude, une affaire d’homme, la délicatesse, on verra plus tard, mais certains adorent. Prix de vente dérisoire, un euro le fagot. Le visiteur demande s’il peut acheter. Euh, discrètement señor et à un tarif soudain relevé à 5 euros, « un billet tout rond ». Qu’importe, le vendeur a le sourire, l’acheteur aussi.
Alternative à cette formule, les boutiques qui, en ville, vendent des… articles pour cérémonies religieuses (par exemple, au coin Obispo-Habana à La Havane). Elles sont fréquentées par les pratiquants d’une forme de vaudou local (nombre de Cubains ont des ancêtres haïtiens) et, comme chacun sait, les cérémonies remplacent l’hostie par le cigare. Un simple regard distingue les trop mal fagotés des très présentables. Vendus en vrac, certains se révèlent d’excellente facture. Compter 50 centimes d’euro. Voilà qui justifie un petit clin d’œil au ciel. Deo gratias, muchas gracias.
LE SITE DE L’HÔTEL NACIONAL DE CUBA
Rappelons que « Fumer nuit gravement à votre santé et à celle de votre entourage » et que « fumer tue » pour reprendre les mentions sanitaires obligatoires.
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