Madurai, joaillier du ciel
L’Inde pétille, vise la croissance à deux chiffres, parle de conquête spatiale et célèbre ses victoires au cricket. Paroles, paroles, Madurai ne bouge pas d’une offrande. Car dans la capitale culturelle du Tamil Nadu, seul compte le divin. Normal, l’une de ses icônes, Shiva, habite ici dans un temple d’exception, en compagnie de Mînâkshî, son épouse. Prière d’enlever ses chaussures avant de glisser dans le flot des pèlerins qui sont venus les adorer.
Demain on va voir ce qu’on va voir ! L’Inde brillera au rang qui lui revient. Elle imposera sa vérité forgée depuis la nuit des temps par Shiva, Brahma et Vishnou, elle marchera sur la lune et offrira à ses enfants les ors qui pavent les chemins de la félicité. Promis, c’est Narendra Modi qui le dit.
Arbitre des sagesses humaines
Le premier Ministre se fait le chantre de l’indianité glorifiée. Objectif 2047, centenaire de l’indépendance. Oui, le pays « aura brisé les chaînes de la mentalité esclavagiste », oui, il redeviendra Bharat, son nom d’avant la colonisation, oui, avec ses géants (Mittal, Tata, Mahindra…) et leur maîtrise de la très haute-technologie (informatique, IA, éolien, pharmacie, téléphonie…), il s’imposera en crack du troisième millénaire, oui, entre États-Unis et Chine, il ordonnera les sagesses humaines, oui, malgré modes et woke, ses belles continueront à s’enrouler dans leur sari de soie alors que le tilak (ou bindi, point rouge apposé entre les yeux), désignera les bienheureux.
Mission accomplie, certains parlent de miracle : unir en un même triomphe les 562 principautés de jadis (28 états désormais) et 1,43 milliard d’habitants (la moitié a moins de 25 ans) parlant 2 700 dialectes (18 langues actuellement admises), tous nés du Om, le son initial surgi du chaos afin de générer la vie.
Shiva et son épouse, Mînâkshî
Au sud du pays, Madurai (1,3 million d’âmes) se fiche pas mal de ce blabla. Ici, les temps humains n’ont pas la cote. D’accord, elle s’y colle dans l’invraisemblable fouillis de ses rues où se bousculent chiens errants, guimbardes rafistolées, tuk-tuks pétaradants, limousines chinoises à vitres fumées et impassibles vaches sacrées. Mais son truc à elle, c’est l’éternité. La garde en est confiée à deux stars, Shiva et son épouse, Mînâkshî. Normal, la ville serait née d’une goutte de parfum tombée des longs cheveux du dieu créateur, maître des savoirs qui resplendissent au-delà de la conscience. Bref, ça ne rigole pas.
Temple de Madurai : céleste démesure
Voilà qui justifiait un temple de céleste démesure. Reconstruit au XVIIe siècle, il couvre 6 hectares ceints de hautes murailles et abrite un incroyable entrelacs de salles, cryptes, recoins, bassins, niches, colonnades et autres planques à méditation silencieuse. Le granite affirme la solidité de la prière, suggère l’intemporalité des sculptures et bas-reliefs juste révélés par une lumière contenue qui épaissit le mystère. La foule en pleine ferveur communie à se gaver d’extases. Déroutant, impressionnant, bluffant.
Les mantras du savoir
Le monument, marqué par cinq tours invraisemblables d’une cinquantaine de mètres de hauteur, chacune tapissée d’un millier de figures divines, marque le centre de Madurai, son cœur battant, son élan vers le ciel. La ville se fait temple. Alors, laisser faire et surtout, plonger.
Le site multiplie les salles sombres, les alcôves mystérieuses, les statues noircies par les fumées d’encens et mille fervents attouchements. D’étroits passages glissent jusqu’aux autels noyés d’offrandes, un bol de riz, deux bananes, une poignée de fleurs, qu’occupe la statue d’une divinité ceinte d’étoles dorées. Les fidèles à la dévotion exaltée marmonnent les mantras du savoir, implorent la lumière, demandent au sacré de révéler l’essence de la vie. Règne ici comme un puissant abandon. Folie ? Mais non, Foi, frisson à déglinguer la raison !
Le céleste exige son dû
Des milliers de pèlerins accordent son dû au céleste, foule compacte de saris et de dhotis, visages marqués de peintures rituelles, traits blancs, point rouge, regard de transe, récit monocorde de paroles sacrées. Pour peu qu’on lâche prise, qu’on balaye ses habituels repères, s’ouvre alors un abîme d’ailleurs régi par l’au-delà. Il dicte la souffrance des vies jusqu’à rejoindre le grand Tout, cet Absolu qui signera, enfin, la libération. Om.
Ganesh, le fiston à tête d’éléphant
Le visiteur plonge dans ce tourbillon d’extases, une femme passe ses mains sur la flamme d’une lampe à huile tendue par un prêtre brahmane, purification, son voisin s’étend à même le sol devant la crypte que garde la statue de Shiva, dévotion. En voisin, Ganesh, le fiston à tête d’éléphant, a été couvert d’écharpes et de colliers de fleurs, émotion.
Cymbales et tambours rythment la vénération. Torse nu, œil de transe, pieds frappant la pierre, les officiants s’évadent vers l’impensé, l’au-delà des mondes, là où l’espace comme le temps sont de jolies foutaises devant l’éclat sans début ni fin qui annonce l’Amour infini. Shiva, Mînâkshî offrent leur leçon d’outre-vie. Om.
DIRECTION MADURAI – INFORMATIONS PRATIQUES :
Y aller. L’aéroport international le plus pratique pour rejoindre Madurai est celui de Chennai (anciennement Madras) relié quotidiennement à Paris en vol direct assuré par Air France. Compter autour de 1 000 euros l’AR en classe économique. Et plus de 5 000 euros en classe affaires. www.airfrance.fr
Avec Air India, au moins une escale obligée et tarif inférieur à 800 euros. www.airindia.com
Y loger. L’hôtel Madurai Heritage est installé dans un immense domaine arboré. Chambres vastes d’esprit colonial, vaste piscine et ambiance zen. Compter 150 euros la chambre double. https://heritagemadurai.com