Montres de plongée : Histoires d’eau
Pour la plupart des marques horlogères, proposer des montres de plongée permet d’exprimer des valeurs de performance, de dynamisme et de technicité. Au-delà du look sportif, ces modèles remplissent un cahier des charges très strict pour répondre aux impératifs d’efficacité et de sécurité liés à la pratique des activités sous-marines. Nous nous sommes intéressés aux « hommes-grenouilles » et aux garde-temps étanches qu’ils portent au poignet…
Par Hervé Gallet
Tous les adeptes de la balade subaquatique le savent : il est chaudement recommandé de toujours plonger accompagné afin de pouvoir se faire assister en cas de difficulté. Pourtant, même ceux qui choisissent de s’aventurer seuls sous les eaux ne le sont pas vraiment : une amie protectrice ne les quitte jamais et veille sur eux à chaque instant. Cette « body guard » sous-marine n’est pas une personne mais une norme. Une réglementation officielle qui définit très précisément les critères d’une véritable montre de plongée. Car si afficher l’heure sous l’eau peut sembler anecdotique (qu’il soit 10h05 ou 15h32 importe peu), comptabiliser le temps écoulé depuis la mise à l’eau et indiquer le nombre de minutes restantes avant de devoir regagner l’air libre revêt, en revanche, une importance cruciale voire vitale. Non seulement l’oxygène contenu dans les bouteilles n’est pas illimité, mais en plus la durée d’un séjour en profondeur influe sur celle de la remontée, impliquant les incontournables paliers de décompression. Eh oui, il n’est pas naturel pour l’Homme de séjourner sous l’eau où la pression augmente rapidement jusqu’à devenir potentiellement mortelle.
Lors d’une plongée, à la descente comme à la remontée, la pression va diminuer ou augmenter les volumes gazeux contenus dans le corps (derrière les tympans, dans les sinus, les poumons, les intestins, etc.). Si ces volumes d’air ne parviennent pas à s’équilibrer, dépression et surpression risquent toutes deux de causer de graves dommages à l’organisme…
Les lois de la physique imposant donc leur dure réalité, une montre peut se muer en alliée précieuse, passant du rôle de simple garde-temps à celui « d’instrument professionnel ». Et c’est justement à la norme ISO 6425 que revient la mission de définir ce qu’est une véritable montre de plongée, et non pas un accessoire waterproof pour impressionner les sirènes. Ainsi informé, le plongeur pourra passer la porte d’une boutique d’horlogerie et choisir une montre en toute connaissance de cause.
Les « vraies » montres de plongée
Aussi surprenant que cela puisse paraître, certaines montres parfaitement étanches à plusieurs centaines de mètres de profondeur n’ont pas le droit de se revendiquer « montres de plongée ». L’absence d’une lunette tournante, par exemple, interdit de porter ce titre officiel. D’autres modèles méritent sans aucun doute de recevoir ce précieux label, mais il arrive que les marques jugent inutile de soumettre leurs modèles à l’Organisation internationale de normalisation, estimant que réputation vaut certification.
Alors que recouvre donc cette fameuse norme ISO 6425 dont la dernière mouture porte la date du 1er juillet 1996 et a été reconduite dans les mêmes termes en 2008, dans le registre des « Equipements de sports de plein air et aquatiques », chapitre « Montres »
Tout d’abord, une véritable montre de plongée doit résister à un séjour sous l’eau à une profondeur d’au moins 100 mètres et disposer d’un système de contrôle de temps. Ce dernier point induit quasiment la présence d’une lunette tournante, celle-ci pouvant être externe ou interne. Détail important, la rotation cran par cran de cette lunette devra être unidirectionnelle afin de ne pas risquer de diminuer par une manipulation accidentelle l’indication du nombre de minutes déjà passées sous l’eau (grâce à ce principe, toute rotation involontaire ne pourra aller que dans le sens de l’accroissement de la sécurité).
La norme précise encore qu’une lunette tournante doit être munie d’une échelle graduée allant jusqu’à 60 minutes. Enfin, les graduations indiquant chaque période de 5 minutes ont l’obligation d’être particulièrement mises en évidence.
Autres impératifs, le cadran d’une montre de plongée est nécessairement doté d’index luminescents visibles dans l’obscurité avec un repère à 12 h et doit intégrer un indicateur de marche prouvant en un seul regard que le mécanisme fonctionne normalement. Une aiguille des secondes peut jouer ce rôle. De plus, les indications fournies par la montre (aiguilles des heures et des minutes, obligatoirement différentes l’une de l’autre, ainsi que la durée présélectionnée par l’intermédiaire de la lunette) doivent être détectables dans l’obscurité à une distance de 25 cm.
Par ailleurs, la montre doit être équipée d’une protection antimagnétique et anti choc. Autres exigences : pour obtenir la norme ISO 6425, des tests sont effectués afin de prouver que la montre peut supporter sans déréglage excessif des variations rapides de température et affronter une immersion prolongée en eau à forte salinité. D’autre part, toute manipulation accidentelle en cours de plongée risquant l’inondation du boîtier doit être évitée grâce à la présence d’une couronne vissée ou d’un dispositif de blocage.
Ce n’est qu’après avoir subi de longues batteries de tests qu’une montre aura le doit d’arborer la mention « Montre de plongée » ou « Diver’s Watch », prouvant en toutes lettres ses capacités, ainsi que la profondeur garantie par le fabricant.
Dans ce domaine signalons qu’une étanchéité à 3 bar (30 mètres) ne protège en réalité le boîtier que des éclaboussures. Un simple jet de douche pourrait le noyer ! Une montre étanche à 5 bar (50 mètre) permet de se baigner sereinement. Mais seule une étanchéité à 10 bar (100 mètres) fait passer une montre étanche au rang de montre de plongée.
Sagas sous-marines
Longtemps, les montres n’étaient étanches ni à l’eau, ni à la poussière. De toutes façons, jusqu’à l’avènement de la civilisation des loisirs, à la moitié du XXe siècle, nul n’aurait eu l’idée saugrenue et téméraire de se baigner avec une montre de poche ! De fait, jusqu’en 1926, aucun horloger ne s’était encore vraiment soucié de proposer de montre imperméable. Cette année-là, Rolex joua les pionniers avec son concept de boîtier à couronne vissée baptisé Oyster (huître). L’invention entra dans l’Histoire un an plus tard lorsqu’une nageuse, Mercedes Gleitze, traversa la Manche en portant au poignet cette fameuse Rolex étanche.
Une dizaine d’années plus tard, en 1936, la marque italienne Officine Panerai imagina un autre concept d’étanchéité de la couronne, reposant cette fois sur un levier de compression (un choix technique qui constitue toujours la signature emblématique des Panerai actuelles).
C’est donc au cours des années 50 post-Seconde Guerre mondiale, marquées le développement de la plongée sous-marine de loisir, que l’on assista à la mise au point de montres réellement adaptées à l’élément liquide.
Il était une fois la Fifty Fathoms
On estime que la première véritable montre de plongée fut la Blancpain Fifty Fathoms, née dans des circonstances qui méritent d’être rappelées. Tout commença en 1953 quand un officier de la Marine française, le capitaine Robert Maloubier, fut nommé à la tête d’une nouvelle unité de nageurs de combat. Celui-ci se mit en quête d’une montre adaptée aux missions sous-marines qui l’attendaient. Hélas, à cette époque, aucun des modèles existants ne répondait à ses attentes. Le dirigeant d’une manufacture horlogère lui déclara même que les montres de plongée n’avaient aucun avenir ! Le capitaine Maloubier finit pourtant par dénicher la bonne personne en Suisse : Jean-Jacques Fiechter, alors président de la marque Blancpain. Lui aussi grand amateur de plongée, il était justement en train de finaliser la conception d’une montre étanche révolutionnaire. Leur rencontre constitua un véritable déclic pour la montre de plongée tant les idées des deux hommes présentaient de points communs. Une fois terminé, le prototype baptisé Fifty Fathoms en raison de son étanchéité à 50 brasses (“fathoms” en anglais), soit environ 100 mètres, fut aussitôt testé et adopté par le militaire français. Possédant une lunette tournante équipée d’un dispositif de blocage et offrant une lisibilité optimale du cadran assurée par des aiguilles luminescentes et des index blancs sur fond noir, la Fifty Fathoms établit aussitôt les références en matière de montres de plongée et lui donna un visage qui allait faire des émules.
Si elle fut utilisée par les nageurs de combat de la Marine française, la Fifty Fathoms fut également adoptée par une figure emblématique de l’aventure sous-marine, le commandant Cousteau, qui la porta au poignet lors du tournage du film Le Monde du silence, en 1954.
En cette année 2017, Blancpain a présenté une montre rendant hommage à cette pionnière, la Tribute to Fifty Fathoms MIL-SPEC. Ce modèle possède la spécificité de disposer d’une pastille d’étanchéité comme sur la version militaire des années 50. Si de l’eau pénétrait accidentellement dans le boîtier, la petite pastille changeait de couleur en guise de signal d’alarme…
La star Submariner
Mais 1953 ne fut pas seulement l’année de naissance de la montre Blancpain puisque qu’une autre icône de la plongée apparut quasiment au même moment, la Rolex Submariner. Un modèle figurant parmi les plus célèbres au monde et devenu un best-seller éternel.
Le 23 janvier 1960, Rolex participa d’ailleurs à un fabuleux exploit en matière d’étanchéité et de solidité : un prototype expérimental d’une montre Oyster, la Deepsea Special, avait été mis au point pour résister à la pression colossale régnant à une profondeur de quelque 11 000 mètres : environ une tonne par centimètre-carré ! La montre, fixée sur la coque du Trieste, le bathyscaphe des explorateurs Jacques Piccard et Don Walsh, surmonta cette terrible épreuve sans subir de dommages, fonctionnant toujours normalement une fois revenue en surface après son escapade à -10 916 mètres dans les abysses de la fosse des Mariannes, au cœur de l’océan Pacifique.
Depuis cette période lointaine, personne n’avait osé retenter l’aventure jusqu’à ce que le cinéaste-explorateur James Cameron (Titanic, Avatar, entre autres) se jette à l’eau, en 2012. A bord d’un sous-marin expérimental spécialement conçu pour un défi baptisé Rolex Deepsea Challenge, Cameron atteignit cette fois la profondeur de 10 898 mètres. Une fois encore, Rolex s’était associée à ce défi et comme lors de l’exploit de Piccard et Walsh en 1960, une nouvelle montre expérimentale avait été installée à l’extérieur de la coque du submersible, à l’extrémité de son bras articulé, tandis que le pilote portait une Rolex Deepsea au poignet. Et, une fois encore, les deux montres prouvèrent leur aptitude à la « plongée » extrême…
Aujourd’hui encore, le nom de Rolex reste intimement lié au monde de la plongée, comme le prouve par exemple la nouvelle Sea-Dweller étanche à 1 220 mètres. Ce modèle dispose d’une valve à hélium, brevetée par Rolex en 1967. Indispensable lors des longues plongées dites « à saturation », cette soupape régule la pression à l’intérieur du boîtier pendant les phases de décompression en caisson hyperbare, en permettant aux particules d’hélium de s’échapper de la montre.
Remember ZRC
Mais revenons à la période des Sixties, particulièrement propice à l’essor des montres de plongée. En 1960, une entreprise horlogère française créée en 1904 et installée à Annecy, ZRC (“Zuccolo Rochet et Cie”) décida de créer une montre étanche afin de la proposer à la Marine nationale. Louis Brunet, petit-fils du fondateur, Joseph Rochet, conçut un premier prototype qui fut confié à l’armée afin de le tester. Le verdict fut positif sous réserve d’une modification peu fréquente : estimant que l’implantation de la couronne à 3h la rendait vulnérable à une ouverture accidentelle sous l’eau, les nageurs de combat demandèrent qu’elle soit positionnée différemment. ZRC se remit à l’ouvrage et construisit une seconde version dont la couronne se situait cette fois à 6h. Pour y parvenir, il fallut mettre au point un système exclusif de canon taillé dans la masse. Ce dispositif fit de la montre baptisée Grands Fonds 300 la seule du genre à être dotée d’un boîtier 100% monobloc. Ce boîtier présentait par ailleurs la particularité d’être fabriqué en acier spécial renforcé au molybdène et totalement amagnétique. Il s’agissait là d’une autre exigence de la Marine nationale qui souhaitait confier la montre à ses plongeurs démineurs.
Même si elle reste peu connue du public, la Grands Fonds 300 accumula les innovations et joua les pionnières sur bien des aspects. Par exemple, ZRC dessina une anse escamotable en bas du boîtier afin de permettre le passage de la couronne et la mobilité du bracelet uniquement en position fermée. Ce concept rendait impossible la mise à l’eau tant que la couronne n’était pas vissée à fond. Autre trouvaille, le bracelet disposait de deux maillons extensibles qui permettaient aux plongeurs de porter la montre par dessus l’épaisse manche de leur combinaison de caoutchouc sans avoir à procéder au moindre réglage. Et pour terminer cet hommage à ZRC et au made in France, ajoutons qu’à cette époque cinq marques horlogères seulement avaient réussi à fabriquer des montres capables d’atteindre une profondeur de 300 mètres.
Produite de 1964 à 1972 (elle fut alors victime de la vague du quartz), la Grands Fonds 300 fut portée notamment par le 3e Groupement des Plongeurs Démineurs, les nageurs de combat du Commando Hubert ainsi que par le commandant Cousteau et l’équipage de la Calypso.
Bonne nouvelle pour les hommes-grenouilles et les collectionneurs, cette GF 300 a refait surface en 2016 dans une version modernisée mais fidèle à l’esprit originel et au design initial.
Restons encore un moment au cœur de ces années 60 avec une autre montre de plongée française, la Triton, conçue en 1962 pour le compte de la Spirotechnique. Etanche jusqu’à 200 mètres, elle se caractérisait par ses formes puissantes, sa couronne implantée à 12h et protégée par un protège-couronne articulé relié au boîtier. La Triton vous tente ? Une très belle réédition a été présentée en 2015.
A propos de « Made in France », signalons que la marque Bell & Ross, dont les bureaux sont à Paris et les ateliers en Suisse, mit au point en 1997 l’Hydromax, une montre étanche à 11 100 mètres !
Etoiles de mer
Parmi les autres modèles phares ayant marqué l’histoire des montres de plongée, figurent la Breitling Superocean de 1957 et la Jaeger-LeCoultre Memovox Deep Sea de 1959 – première montre de plongée équipée d’une alarme sonore – qui compta parmi sa descendance la Polaris et, bien plus tard, la Master Compressor Diving GMT (celle-ci fut testée à 1 088 mètres de profondeur, le 14 juin 2007, en conditions réelles d’immersion au large d’Hawaï). Citons également la Vulcain Nautical de 1961, elle aussi avec alarme sonore; l’IWC Aquatimer de 1967 ou encore l’Omega Seamaster Professional 600 “Ploprof”, dont la première version fut lancée en 1970 et la seconde génération en 2016 avec une étanchéité portée à 1 200 mètres. Et accordons aussi une place aux montres de plongée dotée d’un profondimètre mécanique, à l’image de la Jaeger-LeCoultre Master Compressor Extreme World ou de la Blancpain X Fathoms. Sans oublier la Oris Aquis Depth Gauge, dont l’épais verre saphir est percé d’une cannelure à l’intérieur de laquelle le point de contact entre l’air et l’eau qui y pénètre, plus ou moins selon la pression, indique la profondeur.
Quant aux plongeuses actuelles, mentionnons la très novatrice Panerai Luminor Submersible 1950 BMG-TECHTM; l’Omega Seamaster Planet Ocean Big Blue étanche à 600 mètres; la Audemars Piguet Royal Oak Offshore Diver étanche à 300 mètres tout comme la Oris Régulateur Der Meistertaucher en titane, la TAG Heuer AquaRacer Camouflage, la Bell & Ross BR-03 92 Diver au boîtier carré. Sans oublier la Seiko Prospex, réinterprétation d’un modèle de 1965 étanche à 200 mètres, la Tudor Heritage Black Bay Steel, la Longines Legend Diver au look rétro, la très colorée Hamilton Khaki Scubaou la Breitling Superocean Heritage dont le design reste fidèle à sa glorieuse devancière des années 50. Autant de montres prêtes à toutes les aventures sous-marines…